Jeu de grattage, prix et addiction : le billet de 5 € est-il la nouvelle frontière du risque ?

Grattage : le passage de la monnaie au billet, un déclic dans la tête des joueurs

À 3 € ou moins, les tickets à gratter de la FDJ sont perçus comme de « la gnognotte », une dépense « qui ne compte pas » . Mais dès qu’il faut sortir un billet de 5 € ou, pire, de 10 €, le geste change de nature : on n’achète plus « un petit plaisir », on parie, c’est ce qui ressort de l’étude canadienne commandée par l’ANJ dressant le « Portrait des habitudes de jeu et analyse de l’attractivité et des risques associés aux jeux de grattage ».

Et c’est d’autant plus vrai lorsque l’on tente sa chance au jeu Millionnaire à 10€ pour espérer remporter 1.000.000€ ou encore lorsque l’on mise 15€ à un ticket Mission Patrimoine pour tenter de décrocher le gros lot de 1.500.000€.

Tableau des  différents niveaux de risque des gratteurs en point de vente (PDV) selon le prix préféré du ticket. (On y voit la proportion de joueurs à risque élevé grimper de 9 % avec les tickets ≤ 2 € à… 46 % pour ceux qui préfèrent le 10 €.)

Plus le ticket est cher, plus le risque de jeu problématique augmente

Les données quantitatives confirment ce ressenti. L’étude montre un « effet escalier » : plus le prix du ticket préféré augmente, plus la part de gratteurs à risque modéré ou élevé bondit, en boutique comme en ligne. Chez les joueurs en point de vente, le risque élevé passe de 9 % (≤ 2 €) à 29 % (3 €), 25 % (5 €) puis 46 % (10 €) .

En ligne, la courbe est encore plus raide : 12 % de joueurs à risque élevé sur les tickets ≤ 2 €, 34 % sur les 3 €, 38 % sur les 5 € et… 48 % quand le ticket atteint 10 €.

Contrairement à l’accès « limité » des points de vente, notamment au niveau des amplitudes horaires, il est possible de jouer en ligne sur FDJ.fr tout au long de la nuit ou à n’importe quel moment de pause, exposant un peu plus les joueurs aux jeux de grattage en excès.

Le niveau de risque des gratteurs en ligne selon le prix préféré du ticket. Le niveau de risque dépasse 30% dès la mise en jeu de 5€ sur FDJ.fr

Jeu de grattage à 5 € : la « mise intermédiaire » qui banalise l’engagement

« Visuellement, le 5 € c’est un billet ; on ressent plus l’enjeu », note Christophe, 42 ans . Pour d’autres, ce prix est le « compromis » parfait : pas aussi « coûteux » qu’un 10 €, mais assez cher pour faire miroiter jusqu’à 500 000 € de gain . Résultat : les joueurs s’y engagent plus souvent et plus longtemps ; leur score moyen sur l’échelle du risque (ICJE) quadruple entre les tickets ≤ 2 € et ceux à 5 € .

Jeu de grattage à 10 € et plus : la zone rouge

Mais l’espoir du jackpot s’accompagne d’une aversion à la perte :

L’étude mesure ici le pic absolu de risque : près d’un joueur sur deux préférant ces tickets atteint un niveau de risque élevé – un record toutes catégories.

Pourtant, le ressenti d’Émilie est le bon, les gammes des tickets de grattage à 10€ sont également ceux qui bénéficie de la plus grande redistribution des gains aux joueurs (TRJ; Taux de Retour aux Joueurs). Toutefois, la plupart de ces lots sont concentrés autour des gains « jackpot« , et ceux-là, il n’en existe que quelques uns sur plusieurs millions de tickets vendus.

La fausse sécurité des petits tickets à gratter

À l’inverse, les micro-mises peuvent masquer la dépense réelle :

Accumuler cinq tickets à 2 € peut pourtant revenir plus cher qu’un seul ticket à 10 €. L’étude rappelle que cet « effet machine à sous » brouille la perception du budget .

Pourquoi ce lien prix-risque existe-t-il ?

Les auteurs et autrices de cette étude nous indique quelques pistes sur la réalité de ce lien « prix-risque » et pourquoi il dépasse le cadre de la lucidité de joueurs.

Premièrement, il s’agit d’un seuil cognitif : sortir un billet matérialise la dépense, déclenche un sentiment d’enjeu et, chez certains, une excitation plus forte.

Deuxièmement, la promesse de gain : les tickets chers affichent des jackpots massifs (500 000 € ou plus) – un levier marketing qui attire les joueurs à risque.

Enfin, le rapport entre fréquence des petits gains VS les jackpots potentiels : les petits prix favorisent la répétition ; les gros prix concentrent l’espoir de « changer de vie », ce qui pousse à miser d’un coup.

L’ANJ et les scientifiques relèvent quelques pistes de prévention pour  l’avenir

L’Autorité Nationale des Jeux et les auteurs de cette étude rapportent que la prévention doit être accrue autour des jeux de grattage à « fortes mises » avec notamment des messages d’avertissements spéciaux ou encore des plafonds de mises sur certaines gammes de jeux.

Entre les joueurs qui souhaitent gagner le gros lot, FDJ qui à un intérêt à vendre des tickets cher et le régulateur qui veut réduire le nombre de joueurs problématiques, le jonglage entre les différentes parties prenantes s’annonce délicat et les débats encore houleux dans les années à venir.

Des idées qui se défendent, surtout pour certains joueurs qui tendent à banaliser certaines de leur mise.

L’étude démontre que le prix du ticket n’est pas seulement un détail pratique : c’est un indicateur prédictif du risque de jeu excessif. Sortir un billet – surtout de 10 € – équivaut pour beaucoup à franchir une ligne rouge. Les opérateurs comme les pouvoirs publics disposent désormais de chiffres clairs pour cibler leurs actions de prévention… avant que le billet ne brûle trop de doigts.

Simon Richomme

Responsable éditorial pour la section Casino et cofondateur de Tirage-Gagnant.com depuis 2013. Rédacteur et joueur de roulette et de blackjack régulier en casino, il mêle ses compétences techniques avec sa passion du jeu.

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